dimanche 10 juin 2012

L'histoire de Jean

Dans le cadre de mes études, j'ai eu un travail d'écriture à rendre. Il s'est agit d'écrire un texte en respectant des contraintes :


Contraintes respectées :

Nombre de signes : 5696

1 Vocabulaire intégré au texte :


Œuf pourri
principal
très exactement
mercredi soir seulement
remonter la pente
erreur fatale
matelas mousse
regarder de travers
sortir le soir
cest un piège
voler
bref
kimono
abattu

presque cinquantenaire
surdiplômé
grand(e) et maigre
dune avarice sordide
pâlichon
sobre
angoissé
drôle
blafard(e)
stupide
sympathique
ne porte que des chaussettes rouges
affabulateur(trice)


2 Le contexte

Une station de métro la nuit après le dernier passage


3 Les Personnages introduits dans l'histoire :


Saxophoniste
femme au foyer
boulangère
passagers de métro
chien errant de race indéterminée



L'histoire de Jean.

Jamais Jean Bailly n’aurait un jour imaginé faire l’objet d’un récit, si petit soit-il. Si nous l’avions observé, nous aurions pensé que cet homme pâlichon et discret n’avait pas grand chose de spécial. Si nous lui avions adressé la parole, il nous aurait affirmé être d’une personnalité sobre voire fade. Il aurait reconnu n’être animé d’aucune passion et vivre un quotidien pour le moins répétitif. Bref, « pas de quoi en faire un roman », aurait-il conclu. Mais si nous avions creusé sous cette modestie excessive, il nous aurait dit pourquoi il s’obstinait à ne porter que des chaussettes rouges, et cela nous aurait fait changer d’opinion vis-à-vis de lui, tellement cette habitude, a priori pathétique, trouvait son origine dans un fait hors du commun. Un fait qui, afin d’être relaté comme il se doit, nécessite une petite parenthèse historique des plus cocasses. Une histoire de kimono, en 1402, dans le Japon médiéval. Figurez-vous que...

Malheureusement pour Jean, nous n’avons pas gratté sous cette couche de banalité qui le recouvre et n’avons donc pas écouté son histoire. Nous ne lui avons pas même adressé la parole. Mieux que ça, nous n’avons pas pris la peine de l’observer, car enfin, qui aurait eu du temps à perdre à cela ? C’est pourquoi Jean Bailly ne devint effectivement jamais le personnage principal d’un roman, ni même d’une nouvelle, ce qui, avouons-le, nous soulage plutôt. D’ailleurs, le voilà qui se lève et qui... mais c’est qu’il m’a bousculée !

Une fois son indignation passée, Aurélie quitta l’homme du regard pour le porter sur la jeune femme qui venait de s’installer en face d’elle. Elle avait une tête à s’appeler Monique, malgré son jeune âge. Aurélie la voyait bien boulangère, elle n’avait en tout cas pas l’air surdiplômée. Non, sa bouille sympathique semblait confirmer le fait que Monique était une femme simple, aimée de sa clientèle, qui venait plus pour bavarder que pour la qualité du pain. Car avouons-le, la boulangerie où elle travaillait n’était pas la meilleure du quartier.

Gallieni ? Il fallait que ça arrive. A chaque fois qu’elle prenait le métro, Aurélie ne pouvait s’empêcher d’inventer une vie à ses voisins de banquette. C’était bien plus qu’une drôle d’habitude, c’était un état d’esprit dans lequel elle ne pouvait s’empêcher de sombrer. Elle perdait alors le fil des événements et cela lui jouait des tours. Parfois, on la regardait de travers. Souvent, elle ratait sa station. C’est ce qui lui arriva cette nuit-là. Elle descendit à Gallieni, du dernier métro... loin de chez elle...

C’était prévisible, son handicap – car c’est ainsi qu’elle considérait son imagination débordante – ne pouvait pas se concilier avec le fait de sortir le soir. C’est là que fut l’erreur fatale. Il ne lui restait plus qu’à appeler sa mère pour qu’elle vienne la chercher. « Pourquoi n’es-tu pas encore rentrée ? Je t’attends dans le salon, j’ai failli appeler la police », demanderait-elle d’un ton angoissé en mère au foyer modèle. Aurélie n’avait pas envie de lui parler. Elle ne fut pourtant en rien soulagée lorsqu’elle vit que ça lui était impossible : son téléphone n’était pas dans sa poche... ni dans son sac... ni dans son blouson ? On le lui aurait volé ? Avec son portefeuille ! «Jean... Il aurait peut-être mérité une histoire, finalement. Il m’a bousculée... c’était un piège... », murmura-t-elle avant de mesurer toute la gravité de la situation. Elle avait froid. Elle paniqua. Elle défaillit.

Elle finit par se réveiller, toujours allongée sur le quai de la station Gallieni. Et pourtant, un matelas en mousse aux effluves d’œufs pourris avait trouvé le moyen de se glisser sous elle. Mieux, un chien de race non identifiée lui servait d’oreiller. Puis vint un homme, presque cinquantenaire, grand et maigre, blafard. Elle l’avait déjà vue. Il était assis à côté de Jean, puis de Monique, dans le métro. Elle l’avait bien observé, lui aussi.

- Vous êtes Milan, le saxophoniste... Je vous reconnais...
- Milan ? Connais pas de Milan. Vous devez confondre.

Aurélie semblait être ailleurs. Dans sa tête, son imagination avait occulté la réalité. A tel point que la réponse ne la décontenança pas.

- Je ne suis pas stupide, je vois bien que vous êtes Milan le saxophoniste. Je vous ai observé. Je sais tout de vous. Vous avez fui la Yougoslavie de Tito en 1971 très exactement. Vous avez traversé l’Adriatique à la nage aidé de votre chien Darko... Vous n’avez eu d’autre choix, arrivé en France, que de subsister en jouant du saxophone ici et là pour vous en sortir... Le mercredi soir seulement, vous vous octroyez un peu de repos aux côtés de votre chien.

Milan ne semblait pas convaincu d’être lui-même. Au contraire, il persistait à nier les faits :

- Là... vous délirez. Et puis mon histoire a rien d’aussi mouvementée. Non, c’est la faute d’un quotidien morne et répétitif si je suis ici. J’y connais rien à la musique, et je m’en servirais pas pour remonter la pente. Je suis bien comme ça. Pas de quoi en faire un roman.
- Et votre étui à saxophone, vous l’expliquez comment alors ?
- C’est une valise toute bête ! Y’a mes fringues dedans.

Il ouvrit sa valise comme pour prouver sa bonne foi. Dedans, quelques slips, un vieux jean troué, des pulls, quelques paires de chaussettes, rouges, comme celles qu’il avait aux pieds. A la vue de son contenu, Aurélie eut une sensation désagréable. Elle se rallongea, comme abattue.

- Vous vous faites des films, dit-il d’un ton conciliant. Dormez, ça ira mieux après.

Aurélie cependant se sentait déboussolée. Elle pouvait faire confiance en Milan, mais qu’en était-il de cet inconnu ?

- Vous n’êtes pas Milan, c’est sûr ?
- Non...
- Mais alors... Vous êtes qui ?
- Vous pouvez m’appeler Jean.

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