dimanche 21 juillet 2013

Reálie

Nos amis les tchèques possèdent un mot fort intéressant qui ne possède à mon sens pas de véritable équivalent français. 

Il s'agit du mot "reálie". 

Ce mot est certes plus ou moins transparent, puisqu'on peut faire le parallèle avec le français "réalité". Mais le terme tchèque est plus spécifique, il désigne la réalité d'un endroit, ce que les gens jugent normal ou non de faire, de voir, de vivre. 

Un manuel de reálie slovaque

L'exemple typique est celui du touriste confronté à la reálie tchèque, lorsqu'il commande sa première bière, et qu'il ne sait pas trop pourquoi on lui propose "vous voulez quoi, une 10, une 11, une 12 ?" 

Tous ces petits détails font que la vie est différente d'un endroit à un autre. En Slovénie comme en France, on peut aller acheter son pain dans une boulangerie, mais il est peu probable qu'à minuit, en France, si l'on a faim et un frigo vide, on dise "bon je vais vite fait passer à la boulangerie pour me prendre un truc à manger". 

Cette reálie joue beaucoup dans le fait qu'on se sente à l'étranger lorsqu'on est à l'étranger ! On est parti pour faire un acte du quotidien et on est soudainement pris par le doute "mais comment donne-t-on un pourboire ici ? Où vais-je pouvoir acheter un timbre ?". On est surpris par le fait qu'on vende du papier toilette dans des papetteries, les systèmes de transport en commun nous semblent incompréhensibles. 

J'ai pour le moment vécu une petite année à Prague, mais depuis mon arrivée en octobre, je n'avais jamais eu l'occasion de demander une glace dans l'un de ces nombreux snacks qui se trouvent sur les chemins de promenade. Il a fallu attendre juillet pour que l'occasion s'y prête enfin, lorsque nous nous promenions avec un ami ukrainien. En demandant "avez-vous des glaces ?" dans un tchèque ne trahissant pas notre étrangèreté, le vendeur nous demande tout naturellement "bien sûr, vous voulez quoi, une normale ou une russe ?". Et c'est là que nous nous sommes trahis. Nous avons d'abord fait répéter le vendeur, qui restait perplexe devant notre incompréhension. Nous avons dû lui demander la différence et lui faire apporter des exemplaires de ces glaces pour que nous puissions les comparer. 

 Une glace russe

Car non, la maîtrise de la langue (et de l'accent) ne suffit pas pour ne pas avoir l'air étranger. Cette reálie doit nous être connue, il faut réagir de façon normale à ce qui est normal, il faut savoir se comporter à la locale et avoir les mêmes références culturelles. 

Car oui, les références culturelles, c'est aussi très important. Si l'on passe une bonne soirée en Slovénie et que l'on est fier de pouvoir parler avec les gens dans leur langue, et que toute cette joyeuse compagnie commence à être éméchée, il serait fort dommage de ne pas savoir chanter la chanson "bolje biti pijan nego star" (mieux vaut être saoûl que vieux), et ce en serbo-croate. Car c'est un fait, tout groupe éméché comportant une part non négligeable de gent féminine finira tôt ou tard par chanter à plein poumons cette chanson d'amour déprimante. Et c'est à ce moment là que tout ce joue, qu'il est possible de démontrer que si il devait y avoir un étranger dans ce groupe, il ne s'agirait pas de nous. 

 Quand vient le refrain, de pas hésiter à crier BOLJE BITI PIJAAAAAN NEGOO STAAAAAAR

vendredi 15 mars 2013

Remises de diplômes

Nouvellement titulaire d'une licence de tchèque avec mention, j'ai été tout naturellement convié à assister à une cérémonie de remise de diplômes

Le lieu choisi est hautement symbolique : la chapelle de Betlehem, en plein centre ville historique de Prague, qui a été reconstruite à l'endroit même où débute l'un des plus importants épisodes de l'histoire tchèque, celui qui a mené les pays tchèques à s'écarter du catholicisme décadent, à une époque bien antérieure aux débuts du protestantisme.

 Betlémská Kaple
Le déroulement de la cérémonie a tout de solennel : arrivée en rang des lauréats, défilé des hauts dignitaires de l'université en costumes moyen-âgeux et armés de sceptres imposants, discours d'ouvertures successifs, "promesses" récitées par les étudiants vis-à-vis de leur future carrière, remise des diplômes, discours de clôture déclamé par une étudiante faisant la rétrospective de ses années d'étude, discours de clôture des hauts dignitaires, départ en rang dans l'ordre inverse des arrivées... 

Chaque début de discours est consacré à saluer les autres, et ce dans un ordre bien précis : le recteur (ou Magnificence), le doyen (ou Spectabilis), il me semble bien qu'il doit y avoir aussi un Maiestas dans l'histoire, [... ], les lauréats suivent, et ce n'est qu'alors que l'assemblée entière y a le droit.

Magnificence, Spectabilis, Maiestas etc.

Le tout est accompagné par un orgue, donnant un côté tout à fait officiel à la chose. L'assemblée doit se lever aux moments importants, tout se passe en gros comme à la messe (bien qu'il n'y ait rien de religieux là-dedans, en théorie).

L'organiste a dû se sentir légèrement à cours d'idées au moment de la longue remise des diplômes (l'équivalent de la communion donc), puisque le morceau choisi pour l'occasion était visiblement trop court. Imperceptiblement et sans interruption notable, il s'est mis à jouer une gamme variée de motifs musicaux, du blues gershwinien à de la variété tchèque du siècle passé (Život je jen náhoda, pour ne citer que ce que j'ai pu identifier, mais il y avait bien d'autres choses).

Život je jen náhoda

Toutes sortes d'étudiants avaient le droit à ces honneurs, de la simple licence au diplôme d'ingénieur lui-même. Les lauréats titulaires de mentions se sont vu décerner leurs diplômes dans de beaux dossiers en cuir rouge, tandis que les autres n'ont eu le droit qu'à du noir. 

Moi, mon diplôme m'a été remis dans une enveloppe marron. Mais c'était il y a déjà quelques semaines, lors d'un bref retour en France. Le mail que j'avais reçu précisait que je devais passer au bureau de la scolarité entre 14 et 16h si je voulais qu'on puisse me le remettre. 

J'ai tout de même été heureux de pouvoir voir à quoi aurait ressemblé ma remise de diplôme si j'avais été un étudiant tchèque. Je remercie au passage la famille pragoise au sein de laquelle je vis, qui m'a proposé d'assister à cette intéressante cérémonie, et je félicite une fois de plus Martín, qui s'est vu remettre un beau dossier de couleur rouge.

vendredi 22 février 2013

7h30

Cette semaine débute le 2nd semestre d'études pragoises.
La plupart des mes cours sont tout trouvés : je continue ce qui a débuté en octobre. 
Cependant, il me faut tout de même en trouver un nouveau. Attiré par son intitulé affriolant, j'opte pour Aktuální problémy české gramatiky, à savoir Problèmes actuels de grammaire tchèque (j'ai choisi à dessein une police affriolante pour souligner le fait que ce cours est censé être fun).

A priori, il constitue tout ce dont j'ai besoin : Il se case parfaitement dans mon UE de langue tchèque, m'apporte les 3 crédits ECTS dont j'ai besoin et ne devrait pas me poser trop de problèmes de compréhension, étant déjà un peu familier avec le sujet.

Oh, et puis il se case bien dans mon emploi du temps aussi : de 7h30 à 9h le vendredi.
...
 7h30!!!
 7h30!!!

Verdict : il est désormais 10h30, nous sommes vendredi, je suis fatigué.
Le prof est arrivé et nous a donné la liste des 6 dates sur les 13 où il sera absent.
Il s'agit d'un cours de master destiné à répondre aux questions que les étudiants étrangers se posent sur la grammaire tchèque... Le premier cours n'a guère servi qu'à faire un tour de table pour noter les questions que l'on pouvait avoir en tête... qui étaient, à froid, peu après 7h30, d'une qualité tout à fait exceptionnelle.

Oh, et nous avons également eu la joie d'apprendre la raison pour laquelle le cours a été mis si tôt : "a priori à 7h30, tout le monde est disponible". Logique imparable.

7h30 !



mardi 11 décembre 2012

Nouvelle vie


Le temps passe et ce blog mérite décidément une petite publication… En effet, cher lecteur, savais-tu que je suis désormais l’heureux possesseur d’une vie à Prague ?

Ce n’est pour toi qu’une demi-surprise, sachant que tu as dû passer ces derniers mois à lire et à relire les derniers articles de ce blog, qui mentionnent à plusieurs reprises ce beau pays qu’est la République tchèque.

Tout a commencé par l’obtention d’une bourse gouvernementale pour un séjour d’études d’un an à Prague. Je pourrais écrire des dizaines d’articles sur les difficultés certaines à gérer deux administrations universitaires en parallèle, mais je m’en abstiendrai, car ce ne serait pas intéressant, et tu pénétrerais dans mon blog avec la même résignation que dans ton antenne du trésor public.

Alors bon, Prague, c’est beau. Mais je dois reconnaître avoir eu quelques appréhensions. J’en avais gardé de mes séjours touristiques l’image d’une ville encombrée par le tourisme de masse (cf image d’une ville encombrée par le tourisme de masse ci-dessous), mais ce n’est en fait vrai que si l’on réduit Prague à son centre ville. Et même là, il sera toujours possible de trouver des îlots de quiétude (emprunts de tchéquitude).
Je pensais qu’en dehors du centre, la ville était moche. Qu’il s’agissait d’une ville trop grande qui, contrairement à Paris, ne possédait pas de réseau de transports en commun très efficace (n’y a-t-il pas à Prague que 3 lignes de métro ?) Je pensais qu’il s’agissait d’une ville dénuée d’espaces naturels, si on exclue le parc de Petřín, magnifique, mais relativement encombré de touristes. Erreurs ! Erreurs ! Erreurs sur toute la ligne (voire même dans tout le paragraphe) !

une ville encombrée par les touristes

Il ne m’a pas fallu trop de temps pour m’en apercevoir. J’ai vite trouvé une chambre dans un quartier reculé, une sorte de vieux village que la ville a rattrapé en s’agrandissant. Un endroit qui n’est pas dénué de charme, et qui est loin du centre, mais rapidement accessible en transports, ce qui a commencé à ébranler l’un de mes préjugés. Le fait est que j’ai lu peu après une enquête classant Prague en 4e place des villes disposant des meilleurs réseaux de transports en commun en Europe… Après Munich, Helsinky, Vienne,… et Paris alors ? En 13e position ! L’enquête n’était pas tchèque et est basée sur des critères objectifs, dont l’accessibilité (et dans ce domaine, le métro parisien n’est pas le réseau le plus exemplaire). Mon expérience parisienne m’avait appris à tout penser par rapport au métro. Mais Prague possède un réseau de tramway tout à fait remarquable et les possibilités sont nombreuses, l’attente n’est jamais longue, et le métro n’est qu’un réseau complémentaire.


Peu après mon arrivée, j’ai eu l’idée de me chercher un petit guide touristique de la région de Prague. Je suis tombé sur un guide de randonnées à faire dans Prague même. Une trentaine de promenades ne faisant aucune mention du centre ville ou presque. Trente espaces naturels le plus souvent ignorés des touristes, des réserves protégées, des vallées escarpées, de vastes parcs, des forêts… Et tout ça, dans Prague ! De quoi enterrer bien profondément notre jardin du Luxembourg et notre bois de Boulogne ! C’est cela qui m’a fait véritablement comprendre que j’allais aimer vivre dans cette ville.

Si vous êtes ici, c'est que vous êtes à Prague

Dans le portrait que je me faisais de Prague avant mon arrivée, il y avait un détail positif : la perspective de profiter d’une vie culturelle riche, en particulier grâce au théâtre. Dans le centre de Prague, difficile de trouver un cinéma. Le Lucerna est l’une des rares expressions, et quand on y va, on a l’étrange impression de se retrouver… dans la salle d’un théâtre. Les théâtres, eux, se trouvent par dizaines, et force est de constater qu’ils font souvent salle pleine. Il faut parfois s’y prendre bien en avance pour pouvoir assister à certaines représentations, mais ce serait dommage de ne pas en profiter… En tant qu’étudiant, on peut en effet profiter de prix allant de 2 à 5 euros, sans forcément opter pour des places impossibles ! Bref, je m’étais promis d’en profiter, et c’est ce que je fais.
Pour info, ceci est un cinéma

Sinon, en vrac, dans le quotidien pragois : les études - la linguistique - la bière qui fait mieux parler tchèque - la voix de la dame du métro qui annonce que les portes vont se fermer - un peu de slovène - un soupçon de croate - la découverte du vieux slave - un ami slovène qui m’aide à détchéquiser sa langue (dans le sens non-organique du terme) - l’exploration de villes alentours - une norvégienne qui m’entraîne dans des activités plus tchèques les unes que les autres (mon dieu, un concert de Karel Gott, LE chanteur aimé des personnes âgées(LE créateur de la chanson de Maya l’abeille !)) - les cours à moitié incompréhensibles (car en tchèque) - quelques tandems tchèque-français - le caniche des propriétaires de la maison où j’habite - moi… qui fait la cuisine (et c’est bon en plus (et que des plats végétariens s’il-vous-plaît (mais je me rattrape sur la viande quand je mange en ville))) - des amis de ma fac en France qui ont eu la même idée saugrenue que moi… étudier en République tchèque - l’approche délicate et progressive des autochtones indigènes…
Oui, j'ai entendu cette chanson en concert live !

Voici qui devrait donner une idée de cette petite vie pragoise qui est désormais la mienne, et qui, je l’espère, le sera encore pendant quelques années.

Avec un peu de chance, de futurs articles vous feront part d’anecdotes plus ciblées, si jamais je trouvais du temps pour cela…

dimanche 10 juin 2012

L'histoire de Jean

Dans le cadre de mes études, j'ai eu un travail d'écriture à rendre. Il s'est agit d'écrire un texte en respectant des contraintes :


Contraintes respectées :

Nombre de signes : 5696

1 Vocabulaire intégré au texte :


Œuf pourri
principal
très exactement
mercredi soir seulement
remonter la pente
erreur fatale
matelas mousse
regarder de travers
sortir le soir
cest un piège
voler
bref
kimono
abattu

presque cinquantenaire
surdiplômé
grand(e) et maigre
dune avarice sordide
pâlichon
sobre
angoissé
drôle
blafard(e)
stupide
sympathique
ne porte que des chaussettes rouges
affabulateur(trice)


2 Le contexte

Une station de métro la nuit après le dernier passage


3 Les Personnages introduits dans l'histoire :


Saxophoniste
femme au foyer
boulangère
passagers de métro
chien errant de race indéterminée



L'histoire de Jean.

Jamais Jean Bailly n’aurait un jour imaginé faire l’objet d’un récit, si petit soit-il. Si nous l’avions observé, nous aurions pensé que cet homme pâlichon et discret n’avait pas grand chose de spécial. Si nous lui avions adressé la parole, il nous aurait affirmé être d’une personnalité sobre voire fade. Il aurait reconnu n’être animé d’aucune passion et vivre un quotidien pour le moins répétitif. Bref, « pas de quoi en faire un roman », aurait-il conclu. Mais si nous avions creusé sous cette modestie excessive, il nous aurait dit pourquoi il s’obstinait à ne porter que des chaussettes rouges, et cela nous aurait fait changer d’opinion vis-à-vis de lui, tellement cette habitude, a priori pathétique, trouvait son origine dans un fait hors du commun. Un fait qui, afin d’être relaté comme il se doit, nécessite une petite parenthèse historique des plus cocasses. Une histoire de kimono, en 1402, dans le Japon médiéval. Figurez-vous que...

Malheureusement pour Jean, nous n’avons pas gratté sous cette couche de banalité qui le recouvre et n’avons donc pas écouté son histoire. Nous ne lui avons pas même adressé la parole. Mieux que ça, nous n’avons pas pris la peine de l’observer, car enfin, qui aurait eu du temps à perdre à cela ? C’est pourquoi Jean Bailly ne devint effectivement jamais le personnage principal d’un roman, ni même d’une nouvelle, ce qui, avouons-le, nous soulage plutôt. D’ailleurs, le voilà qui se lève et qui... mais c’est qu’il m’a bousculée !

Une fois son indignation passée, Aurélie quitta l’homme du regard pour le porter sur la jeune femme qui venait de s’installer en face d’elle. Elle avait une tête à s’appeler Monique, malgré son jeune âge. Aurélie la voyait bien boulangère, elle n’avait en tout cas pas l’air surdiplômée. Non, sa bouille sympathique semblait confirmer le fait que Monique était une femme simple, aimée de sa clientèle, qui venait plus pour bavarder que pour la qualité du pain. Car avouons-le, la boulangerie où elle travaillait n’était pas la meilleure du quartier.

Gallieni ? Il fallait que ça arrive. A chaque fois qu’elle prenait le métro, Aurélie ne pouvait s’empêcher d’inventer une vie à ses voisins de banquette. C’était bien plus qu’une drôle d’habitude, c’était un état d’esprit dans lequel elle ne pouvait s’empêcher de sombrer. Elle perdait alors le fil des événements et cela lui jouait des tours. Parfois, on la regardait de travers. Souvent, elle ratait sa station. C’est ce qui lui arriva cette nuit-là. Elle descendit à Gallieni, du dernier métro... loin de chez elle...

C’était prévisible, son handicap – car c’est ainsi qu’elle considérait son imagination débordante – ne pouvait pas se concilier avec le fait de sortir le soir. C’est là que fut l’erreur fatale. Il ne lui restait plus qu’à appeler sa mère pour qu’elle vienne la chercher. « Pourquoi n’es-tu pas encore rentrée ? Je t’attends dans le salon, j’ai failli appeler la police », demanderait-elle d’un ton angoissé en mère au foyer modèle. Aurélie n’avait pas envie de lui parler. Elle ne fut pourtant en rien soulagée lorsqu’elle vit que ça lui était impossible : son téléphone n’était pas dans sa poche... ni dans son sac... ni dans son blouson ? On le lui aurait volé ? Avec son portefeuille ! «Jean... Il aurait peut-être mérité une histoire, finalement. Il m’a bousculée... c’était un piège... », murmura-t-elle avant de mesurer toute la gravité de la situation. Elle avait froid. Elle paniqua. Elle défaillit.

Elle finit par se réveiller, toujours allongée sur le quai de la station Gallieni. Et pourtant, un matelas en mousse aux effluves d’œufs pourris avait trouvé le moyen de se glisser sous elle. Mieux, un chien de race non identifiée lui servait d’oreiller. Puis vint un homme, presque cinquantenaire, grand et maigre, blafard. Elle l’avait déjà vue. Il était assis à côté de Jean, puis de Monique, dans le métro. Elle l’avait bien observé, lui aussi.

- Vous êtes Milan, le saxophoniste... Je vous reconnais...
- Milan ? Connais pas de Milan. Vous devez confondre.

Aurélie semblait être ailleurs. Dans sa tête, son imagination avait occulté la réalité. A tel point que la réponse ne la décontenança pas.

- Je ne suis pas stupide, je vois bien que vous êtes Milan le saxophoniste. Je vous ai observé. Je sais tout de vous. Vous avez fui la Yougoslavie de Tito en 1971 très exactement. Vous avez traversé l’Adriatique à la nage aidé de votre chien Darko... Vous n’avez eu d’autre choix, arrivé en France, que de subsister en jouant du saxophone ici et là pour vous en sortir... Le mercredi soir seulement, vous vous octroyez un peu de repos aux côtés de votre chien.

Milan ne semblait pas convaincu d’être lui-même. Au contraire, il persistait à nier les faits :

- Là... vous délirez. Et puis mon histoire a rien d’aussi mouvementée. Non, c’est la faute d’un quotidien morne et répétitif si je suis ici. J’y connais rien à la musique, et je m’en servirais pas pour remonter la pente. Je suis bien comme ça. Pas de quoi en faire un roman.
- Et votre étui à saxophone, vous l’expliquez comment alors ?
- C’est une valise toute bête ! Y’a mes fringues dedans.

Il ouvrit sa valise comme pour prouver sa bonne foi. Dedans, quelques slips, un vieux jean troué, des pulls, quelques paires de chaussettes, rouges, comme celles qu’il avait aux pieds. A la vue de son contenu, Aurélie eut une sensation désagréable. Elle se rallongea, comme abattue.

- Vous vous faites des films, dit-il d’un ton conciliant. Dormez, ça ira mieux après.

Aurélie cependant se sentait déboussolée. Elle pouvait faire confiance en Milan, mais qu’en était-il de cet inconnu ?

- Vous n’êtes pas Milan, c’est sûr ?
- Non...
- Mais alors... Vous êtes qui ?
- Vous pouvez m’appeler Jean.